Quelles peuvent être les vertus et les limites de la relation « d’autorité » ? 1ère partie
Publié par Eugénie Thevenon dans Actualité · 26 Juin 2022
Je vous propose une nouvelle série d’articles autours du concept d’autorité. C’est une notion complexe et multi-dimensionnelle que j’ai souhaité creuser par curiosité pour enrichir ma pratique professionnelle, et nourrir mes réflexions cliniques à travers notamment le champ des représentations sociétales que je rencontre. Nous aborderons donc dans cette première partie, les contours de l’autorité en la définissant, en identifiant son rôle, ce qu’elle est et aussi ce qu’elle n’est pas. Ce qu’elle permet. Ce qui la limite et ce qui la favorise.
Commençons donc dès à présent ce voyage à la découverte multi-facettes de la complexité de la notion d’autorité.
Comment peut-on définir l’autorité ?
Ariane Bilheran, normalienne psychologue clinicienne, docteur en psychopathologie, dans son ouvrage « L’autorité » nous dit que :
« L’autorité ne recourt pas à la contrainte, c’est en cela qu’elle se distingue de la violence, ou des formes psychologiques d’emprise. Elle est ce qui enracine dans le passé, ce qui fait d’elle l’apanage des parents face aux enfants, les Anciens étant des figures parentales au sein de la société. Elle est facteur de lien entre le passé et le présent, mais aussi entre les membres de la société. »
Elle est garante de la transmission essentielle au maintien de la civilisation. Transmission de la culture, des valeurs, des codes, de tous les apprentissages, des règles et des interdits fondamentaux qui permettent aux groupes sociaux de fonctionner et de transmettre à leur tour à la génération suivante. C’est le pont qui relie l’ancienne génération, à la nouvelle descendance. Elle est garante de la qualité des graines semées, et de leur germination. Elle est structurante de la moralité. Souveraine du maintien – au sens noble du terme – des qualités de l’être humain.
Elle autorise inconsciemment lorsqu’elle est saine que l’élève qui apprend dépasse un jour le « maître » qui transmet. De son côté, l’enseignant, lui, comprend l’importance de son rôle et toute la valeur de ce qu’il partage. Il sait que sa place n’est que temporaire et il touche du doigt la finitude de son rôle. Pour ce faire la forme pédagogique utilisée et la qualité de la communication sont fondamentales pour l’intégration de la transmission et gages de prospérité dans le temps et à travers les années.
L’autorité sécurise et protège là où l’autoritarisme domine aliène et bloque la parole. Il empêche la croissance et la transmission. Il abîme profondément les représentations et la définition de l’autorité. Tout comme le laxisme d’ailleurs à un autre niveau.
« Ainsi, l’autorité est la possibilité qu’à un agent d’agir sur les autres (ou sur un autre) sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capable de le faire. Si une opposition s’actualise, l’autorité est détruite. » (Ariane Bilheran « l’Autorité »)
L’autorité : une fonction de sécurité et de protection.
Les responsabilités qu’elle implique sont vraiment à prendre au sérieux lorsqu’on se rend compte des conséquences fragilisantes potentiellement déstructurantes qui découlent des déviances des manques et des abus dans les groupes sociaux, par les individus, et par les institutions qui l’incarnent.
Elle nécessite que celui qui l’exerce ait atteint une maturité émotionnelle et relationnelle suffisante ainsi qu’une forme de sagesse.
On mesure tout ce qu’il y a à perdre lorsque la posture n’est pas « autorité » mais autoritaire, tyrannique, ou encore laxiste : le lien humain est mis à mal et l’insécurité est au rendez-vous.
On mesure aussi de l’autre côté, tout ce qu’il y a à gagner en termes d’intelligence collective, de potentiel, de richesse et de croissance pour les individus les groupes, les collectivités et les sociétés humaines.
Il ne s’agit pas ici de rentrer dans une vision dichotomique, où il y aurait simplement le bien et le mal, mais bien de définir les contours et les limites. Nous pouvons ainsi imaginer un continuum de dégradés de nuances avec un curseur de postures relationnelles à déplacer et à ajuster selon les circonstances dans lesquelles vit et s’exprime l’autorité.
On pourrait imager l’autorité comme une énergie facilitatrice et facilitante incarnée avec respect par :
- Celui qui « sait » (l’expert),
- Celui « qui a l’expérience » (le parent), de ce qu’il transmet (la vie les repères, les codes, la socialisation…),
- Celui qui crée,
- Celui qui coordonne
- Celui qui gère,
- Celui qui (à compléter selon vos idées) …
Elle peut passer de mains en mains dans un groupe selon le sujet dont il est question. Comme un ballon lancé à la personne qui a la posture et le champ de compétences le plus adapté au contexte donné pour guider et faire avancer le groupe constitué.
L'autorité : une fonction structurante
Perçue parfois comme décadente ou aliénante, sa fonction cruciale lorsqu’elle est juste, est structurante sécurisante et intégrante.
C’est un consensus social où les acteurs acceptent leurs positions temporaires asymétriques.
Elle est parfois discutée et rejetée et souvent même difficile à exercer.
Il y a eu les dérives des uns, la folie de certains, les abus des autres le manque de maturité de l’humain, qui dans l’histoire passée (des civilisations, des cultures, des sociétés, des entreprises, des institutions, au sein des familles) ont laissé des empreintes souffrantes dans l’inconscient individuel et collectif.
Les blessures liées aux confusions et aux abus de son exercice ont fortement fragilisé sa légitimité, si bien qu’elle est mise à distance par une majorité qui devrait l’incarner pour le bien de la société.
Il y a les manques de ceux qui sont frileux à poser des limites :
- Par facilité,
- Pour leurs intérêts personnels,
- Parce qu’ils sont corrompus,
- Par peur de rendre malheureux,
- Par peur d’avoir à assumer « le mauvais rôle » et perdre la bonne image dans les yeux de l’autre,
- Par peur de perdre l’affectivité voire le lien,
- Car eux-mêmes ont une expérience souffrante autoritaire qui a abimé leurs représentations de l’autorité.
Il y a aussi les motivations intrinsèques et profondes de celui qui l’exerce :
- Pour « être au service de »
- Celui à qui elle fait tourner la tête
- Celui qui la convoite pour se sentir exister, (être sur le plan personnel valorisé, narcissisé)
Toute cette complexité multi-facette fait de l’autorité un exercice d’équilibre périlleux voire vertigineux, souvent approximatif, parfois glorieux mais aussi parfois gravement coûteux.
Fonction relationnelle socialisante essentielle, elle présente une dimension constitutive de toutes les sociétés humaines. Elle éclot et naît dès qu’un groupe se forme. Pas d’organisation sans elle, pas d’ordre, pas de liens humains.
Elle est présente dans tous les systèmes sociaux (famille, travail, institutions, sport, association, spiritualité…) Elle donne des repères, et permet la transmission à travers les générations.
Lorsqu’elle est bien exercée, elle est au service de la communauté pour le bien de tout un chacun.
Les racines de l’autorité :
L’autorité tient ses racines du latin « auctor » qui a comme signification « la personne qui se porte garante pour un autre ». « Auctor » veut dire en français « auteur ».
L’auteur est celui qui répond de ce qu’il écrit. Il en est garant tant dans les points d’élévation qu’il apporte, que dans les potentielles erreurs qu’il commet. Il a la responsabilité pleine et entière de ce qu’il partage. « Auctor » est dérivé du verbe augeo qui veut dire augmenter, faire croître.
Dans le mot autorité il y a la notion d’augmentation. Quelqu’un qui a autorité sur moi c’est quelqu’un qui m’augmente dans un ou plusieurs domaines.
L’autorité encourage la responsabilisation et favorise l’autonomie de l’autre.
Ce sont les parents qui accompagnent leurs enfants à grandir. Le professeur qui transmet un savoir à l’élève. Le formateur qui accompagne dans le développement de compétences. Le médecin qui soigne son patient. Le thérapeute qui accompagne la personne qui vient le consulter. Le manager qui coordonne le groupe et accompagne ses collaborateurs dans leur progression professionnelle.
Je ne peux avoir autorité sur quelqu’un et sur un groupe que dans l’espace relationnel qui entoure nos interactions. Autorité est synonyme de responsabilités.
Si une personne, une œuvre ou une institution a une fonction d’augmentation et de valorisation alors elle exerce un rôle d’autorité. Je reconnais ainsi son autorité contextuelle et ce qu’il m’apporte dans ma construction et/ou mon développement (personnel, professionnel, spirituel, sportif…).
J’ai conscience que l’autre a un plus à m’apporter par son expertise, son rôle, ses spécificités et je consens obéissance dans cette relation asymétrique devant ce plus que je reçois pour grandir et m’enrichir.
L’autorité n’est ni la coercition ni le contrôle tout puissant des êtres par l’aliénation et l’asservissement. Celui qui a cette responsabilité dans le cadre de son rôle doit avoir à l’esprit que la relation asymétrique est au service d’un but, d’un objectif commun, de l’autre, de quelque chose qui est de nature à développer, à apporter un plus.
L'abus d'autorité : quels risques ?
L’autre est un individu à part entière avec des besoins. Il doit être considéré comme tel et non utilisé comme un objet pour répondre aux besoins d’une personne d’un groupe d’une organisation ou d’une société sous couvert d’une rétribution quelconque matérielle financière, affective. (Reconnaissance, appartenance, salaire, logement…).
Dans cette dynamique, l’autre est déshumanisé, maintenu en relation de dépendance et potentiellement assujettit au bon vouloir de celui qui le rétribue.
S’il s’autorise un abus dans sa posture, la personne qui détient l’autorité manque à ses responsabilités, notamment celle de protéger ses subordonnés. Il sort du champ de l’autorité pour entrer dans une forme de contrainte d’autoritarisme voire d’emprise.
Il est facile d’imaginer tout ce qui va blesser l’individu dans son rapport à la relation d’autorité (…)
- Le contrôle coercitif,
- La perte de liberté d’expression,
- L’humiliation,
- La non-considération,
- Les violences physiques,
- Les violences psychologiques,
- Le dénigrement,
- L’ignorance,
- L’abandon
- Les insultes,
- Le manque de respect,
- La mise au placard,
- Le mépris,
- L’arrogance,
- L’aliénation
- Le laxisme…
Par manque :
- De compétences relationnelles, (manque de formes pour faire passer le message…)
- De compétences psychosociales,
- De leadership de soi,
- De contrôle de soi
- De conscience de soi et de gestion de ses émotions,
- D’ouverture à l’autre,
- De flexibilité et de maturité relationnelles,
- De moralité,
- De fermeté,
- De reconnaissance des compétences de l’autre,
- De confiance dans l’autre dans sa capacité à réussir,
- …
Décrédibilisant ainsi celui qui détient l’autorité et suscitant de l’autre côté de la relation, des réactions :
- De rejet,
- De résistance,
- De réactance (réaction émotionnelle négative lorsqu’une personne subit une menace ou une perte de liberté qui la motive à transgresser ce qui est posé)
- D’agressivité passive
- De soumission parce que le cadre l’impose (dans les systèmes totalitaires, en entreprise, dans les familles dysfonctionnelles, autres…), mais que la personne intérieurement ne cautionne pas, et qui est source d’hostilité pour la figure qui incarne l’autorité.
- D’aliénation
Limitant ainsi la transmission, l’expression du potentiel humain et toute la richesse qui en découle. Entraînant même la mort à petit feu d’une civilisation par déliquescence de la transmission notamment des fondamentaux, des racines, de l’histoire et des valeurs.
Il est facile d’imaginer maintenant tout ce qui va favoriser et permettre d’augmenter l’individu dans l’espace de la relation d’autorité :
- La confiance en soi et en l’autre dans ses capacités et ses ressources
- La considération, respect bienveillance et tolérance
- L’humilité
- La responsabilisation
- L’exemplarité
- User d’assertivité, communication claire de ce que je veux
- Le droit à l’erreur dans la démarche d’apprentissage avec des feed-back efficients pour la progression.
- La pose du cadre et des limites,
- La mise en action des conséquences par les sanctions posées en adéquation avec l’action à réajuster, à des fins pédagogiques en étayant avec des mots pour donner du sens, accompagner la progression et insuffler la prise de conscience.
Conclusion :
Je pense notamment dans ce dernier point à certains détenus que je rencontre et qui sont en réaction à la décision du juge simplement parce que celui-ci incarne l’autorité (avec laquelle ils sont fâchés inconsciemment du fait de leur histoire). Ils rejettent la sanction sans réelle élaboration des conséquences de leurs actions car ils sont bloqués dans une image intérieure de la loi qui les a blessé (par du trop, de l’abusif, de l’absence ou du pas assez).
Nous nous intéresserons dans le prochain volet, à la naissance de ses représentations, nous zoomerons un instant sur les dimensions psychopathologiques et certains mécanismes de fonctionnements humains pour l’ébauche de nouveaux horizons d’interactions…
Pour aller plus loin
- Camille Roelens « Manuel de l’autorité, la comprendre et s’en saisir »
- Roger Mucchielli « Psychologie de la relation d’autorité »
- Pierre Colerette « Pouvoir leadership et autorité dans les organisations »
- Ariane Bilheran « L’autorité »
- Dr Daniel J. Siegel « La discipline sans drame »
- Marie France Hirigoyen « Les Narcisse – Ils ont pris le pourvoir »
1 Commentaire
Vote moyen: 5.0/5
Guédon
2022-07-01 06:20:21
Félicitations et meilleurs voeux